Contrat jeune majeur — Obligation de quitter le territoire français — Rupture — Référé Liberté

MOTS CLEFS : Contrat jeune majeur — Obli­ga­tion de quit­ter le ter­ri­toire — Rup­ture du contrat “jeune majeur” — Année sco­laire — For­ma­tion — Iso­le­ment — Réfé­ré Liber­té (Article L 521 — 2 du Code de jus­tice admi­nis­tra­tive) — Atteinte grave et Mani­fes­te­ment illé­gale — Injonc­tion au dépar­te­ment de pro­po­ser un accompagnement 

« 5. Aux termes de l’article L. 221–1 du code de l’action sociale et des familles : 

« Le ser­vice de l’aide sociale à l’enfance est un ser­vice non per­son­na­li­sé du dépar­te­ment char­gé des mis­sions sui­vantes : / 1° Appor­ter un sou­tien maté­riel, édu­ca­tif et psy­cho­lo­gique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout déten­teur de l’autorité paren­tale, confron­tés à des dif­fi­cul­tés ris­quant de mettre en dan­ger la san­té, la sécu­ri­té, la mora­li­té de ces mineurs ou de com­pro­mettre gra­ve­ment leur édu­ca­tion ou leur déve­lop­pe­ment phy­sique, affec­tif, intel­lec­tuel et social, qu’aux mineurs éman­ci­pés et majeurs de moins de vingt-et-un ans confron­tés à des dif­fi­cul­tés fami­liales, sociales et édu­ca­tives sus­cep­tibles de com­pro­mettre gra­ve­ment leur équilibre (…) ». 

L’article L. 222–5 du même code déter­mine les per­sonnes sus­cep­tibles, sur déci­sion du pré­sident du conseil dépar­te­men­tal, d’être prises en charge par le ser­vice de l’aide sociale à l’enfance, par­mi les­quelles, au titre du 1° de cet article, les mineurs qui ne peuvent demeu­rer pro­vi­soi­re­ment dans leur milieu de vie habi­tuel et dont la situa­tion requiert un accueil à temps com­plet ou par­tiel et, au titre de son 3°, les mineurs confiés au ser­vice par le juge des enfants parce que leur pro­tec­tion l’exige. Aux termes du sixième ali­néa de cet article : 

« Peuvent être éga­le­ment pris en charge à titre tem­po­raire par le ser­vice char­gé de l’aide sociale à l’enfance les mineurs éman­ci­pés et les majeurs âgés de moins de vingt-et-un ans qui éprouvent des dif­fi­cul­tés d’insertion sociale faute de res­sources ou d’un sou­tien fami­lial suf­fi­sants ». La loi du 14 mars 2016 rela­tive à la pro­tec­tion de l’enfant a com­plé­té cet article par un sep­tième ali­néa pré­voyant qu’« un accom­pa­gne­ment est pro­po­sé aux jeunes men­tion­nés au 1° du pré­sent article deve­nus majeurs et aux majeurs men­tion­nés à l’avant der­nier ali­néa, au-delà du terme de la mesure, pour leur per­mettre de ter­mi­ner l’année sco­laire ou uni­ver­si­taire enga­gée ». L’article L. 222–5‑1 insé­ré dans ce code par la même loi pré­voit qu’« un entre­tien est orga­ni­sé par le pré­sident du conseil dépar­te­men­tal avec tout mineur accueilli au titre des 1°, 2° ou 3° de l’article L. 222–5, un an avant sa majo­ri­té, pour faire un bilan de son par­cours et envi­sa­ger les condi­tions de son accom­pa­gne­ment vers l’autonomie. Dans le cadre du pro­jet pour l’enfant, un pro­jet d’accès à l’autonomie est éla­bo­ré par le pré­sident du conseil dépar­te­men­tal avec le mineur. Il y asso­cie les ins­ti­tu­tions et orga­nismes concou­rant à construire une réponse glo­bale adap­tée à ses besoins en matière édu­ca­tive, sociale, de san­té, de loge­ment, de for­ma­tion, d’emploi et de ressources (…) ». 

Enfin, aux termes du der­nier ali­néa de l’article R. 221–2 du même code : 

« S’agissant de mineurs éman­ci­pés ou de majeurs âgés de moins de vingt-et un ans, le pré­sident du conseil dépar­te­men­tal ne peut agir que sur demande des inté­res­sés et lorsque ces der­niers éprouvent des dif­fi­cul­tés d’insertion sociale faute de res­sources ou d’un sou­tien fami­lial suffisants ».

6. Il résulte de ces dis­po­si­tions que, si le pré­sident du conseil dépar­te­men­tal dis­pose, sous le contrôle du juge, d’un large pou­voir d’appréciation pour accor­der ou main­te­nir la prise en charge par le ser­vice de l’aide sociale à l’enfance d’un jeune majeur de moins de vingt-et-un ans éprou­vant des dif­fi­cul­tés d’insertion sociale faute de res­sources ou d’un sou­tien fami­lial suf­fi­sants, il incombe au pré­sident du conseil dépar­te­men­tal de pré­pa­rer l’accompagnement vers l’autonomie de tout mineur pris en charge par le ser­vice de l’aide sociale à l’enfance dans l’année pré­cé­dant sa majorité. 

A ce titre, notam­ment, il doit veiller à la sta­bi­li­té du par­cours et à l’orientation des mineurs confiés au ser­vice et les accom­pa­gner vers l’autonomie dans le cadre d’un pro­jet éla­bo­ré avec le mineur auquel doivent être asso­ciés les ins­ti­tu­tions et orga­nismes concou­rant à appor­ter à ses besoins une réponse glo­bale et adap­tée. Lorsqu’une mesure de prise en charge d’un mineur par­ve­nant à sa majo­ri­té, quel qu’en soit le fon­de­ment, arrive à son terme en cours d’année sco­laire ou uni­ver­si­taire, il doit en outre pro­po­ser à ce jeune un accom­pa­gne­ment, qui peut prendre la forme de toute mesure adap­tée à ses besoins et à son âge, pour lui per­mettre de ne pas inter­rompre l’année sco­laire ou uni­ver­si­taire engagée. 

Une carence carac­té­ri­sée dans l’accomplissement de ces mis­sions peut, lorsqu’elle entraîne des consé­quences graves pour l’intéressé, por­ter une atteinte grave et mani­fes­te­ment illé­gale à une liber­té fondamentale.

7. Il résulte de l’instruction que M. X est iso­lé, sans attache fami­liale sur le ter­ri­toire fran­çais, sans res­sources et est pris en charge, uni­que­ment durant les périodes d’ouverture du lycée de Dole, c’est-à-dire les jours ouvrés hors vacances sco­laires, par l’internat de ce lycée où il est sco­la­ri­sé en classe de ter­mi­nale pro­fes­sion­nelle « pro­cé­dés de la chi­mie, de l’eau et des papiers car­tons » dont il est, d’ailleurs, le meilleur élève. 

Dans le cadre du large pou­voir d’appréciation confé­ré aux dépar­te­ments pour prendre en charge les majeurs âgés de moins de vingt-et-un ans qui éprouvent des dif­fi­cul­tés d’insertion sociale, il était loi­sible au dépar­te­ment du Doubs d’estimer qu’il n’y avait pas lieu de pro­lon­ger un « contrat jeune majeur », compte tenu du fait que l’obligation de quit­ter le ter­ri­toire fran­çais dont il fait l’objet com­pro­met­tait son pro­jet d’insertion professionnelle. 

Tou­te­fois, le dépar­te­ment n’a pu, sans por­ter une atteinte grave et mani­fes­te­ment illé­gale à une liber­té fon­da­men­tale, inter­rompre, en cours d’année sco­laire, toute forme d’accompagnement de M. X pour ce motif alors qu’il résulte des dis­po­si­tions des articles L. 111–2 et L. 222–5 du code de l’action sociale et des familles que la cir­cons­tance qu’un jeune étran­ger de moins de vingt-et-un ans soit en situa­tion irré­gu­lière au regard du séjour ne fait pas obs­tacle à sa prise en charge à titre tem­po­raire par le ser­vice char­gé de l’aide sociale à l’enfance et que la mesure d’éloignement du 26 décembre 2019 fait l’objet d’un recours sus­pen­sif devant le tri­bu­nal admi­nis­tra­tif de Besançon.

8. Dans la mesure où M. X ne béné­fi­cie effec­ti­ve­ment plus d’un accom­pa­gne­ment depuis le 4 mars 2020, il y a urgence à enjoindre au dépar­te­ment du Doubs de pro­po­ser au requé­rant un accom­pa­gne­ment adap­té com­por­tant en par­ti­cu­lier une solu­tion d’hébergement et la prise en charge de ses besoins vitaux com­pa­tibles avec la pour­suite dans de bonnes condi­tions de sa sco­la­ri­té au lycée de Dole. » ( Juge des réfé­rés du Tri­bu­nal admi­nis­tra­tif de Besan­çon, n°2000382 du 6 mars 2020 — Déci­sion obte­nue par le Cabi­net de Me BERTIN)