MDPH — Recevabilité de la seule demande d’évaluation du handicap par une personne en séjour irrégulier

CategoriesJurisprudence

(…) Le 15 mars 2021, Mon­sieur X a dépo­sé un dos­sier auprès de la Mai­son dépar­te­men­tale des per­sonnes han­di­ca­pées du Doubs (ci-après MDPH). Par cour­rier simple du 29 mars 2021, la MDPH l’a infor­mé que son dos­sier était irre­ce­vable en l’ab­sence de titre de séjour en cours de validité.

Le 14 avril 2021, le conseil de Mon­sieur X a sol­li­ci­té par cour­riel des pré­ci­sions sur le fon­de­ment juri­dique de l’ir­re­ce­va­bi­li­té de sa demande, en sou­li­gnant qu’en appli­ca­tion de l’ar­ticle L.211–5 du code des rela­tions entre le public et les admi­nis­tra­tions, les déci­sions admi­nis­tra­tives devaient être motivées.

Sui­vant cor­res­pon­dance du 16 avril 2021, la MDPH, répon­dant à son inter­lo­cu­teur, s’est pré­va­lu des articles L.146–3 et R.146–25 du code de l’ac­tion sociale et des familles.

Le 14 juin 2021, Mon­sieur X a sai­si la Com­mis­sion des droits et de l’autonomie des per­sonnes han­di­ca­pées (CDAPH) d’un recours préa­lable et, en l’ab­sence de réponse de celle-ci dans un délai de deux mois expi­rant au 16 août 2021, il a sai­si le tri­bu­nal judi­ciaire de Besan­çon d’une demande d’an­nu­la­tion des déci­sions ren­dues par la MDPH et la CADPH décla­rant irre­ce­vable sa demande.

Par juge­ment du 20 juin 2022, ce tri­bu­nal a décla­ré Mon­sieur X irre­ce­vable en sa requête et a reje­té sa demande d’in­dem­ni­té de pro­cé­dure en rele­vant qu’il ne jus­ti­fiait pas d’une situa­tion régu­lière en France, par la pro­duc­tion d’un titre de séjour en cours de vali­di­té ou du récé­pis­sé d’une demande de renou­vel­le­ment d’un tel titre.

Par décla­ra­tion du 18 juillet 2022, Mon­sieur X a rele­vé appel de cette déci­sion et par conclu­sions visées le 15 sep­tembre 2022, demande à la cour de :

- annu­ler le juge­ment défé­ré et les déci­sions ren­dues par la MPDH le 29 mars 2021 et la CADPH impli­ci­te­ment le 16 août 2021déclarant sa demande irrecevable

- faire injonc­tion à la MDPH d’ins­truire sa demande dans un délai d’un mois sui­vant noti­fi­ca­tion du “juge­ment” (en réa­li­té arrêt) à intervenir

- condam­ner la MDPH à payer à son conseil la somme de 1 800 € contre renon­ce­ment de celui-ci à l’aide juri­dic­tion­nelle outre sa condam­na­tion aux entiers dépens d’instance.

Sui­vant conclu­sions visées le 2 mars 2023, la MDPH conclut à la confir­ma­tion du juge­ment entre­pris, au rejet des pré­ten­tions adverses et demande que chaque par­tie conserve la charge de ses propres frais.

Pour l’ex­po­sé com­plet des pré­ten­tions et moyens des par­ties, la cour se réfère aux der­nières conclu­sions pré­cé­dem­ment visées, en appli­ca­tion de l’ar­ticle 455 du code de pro­cé­dure civile, aux­quelles elles se sont rap­por­tées lors de l’au­dience de plai­doi­rie du 14 mars 2023.

 

MOTIFS DE LA DECISION

Mon­sieur X estime tout d’a­bord que sa requête est rece­vable au regard des dis­po­si­tions supra-natio­nales d’ap­pli­ca­tion directe, en l’oc­cur­rence de la com­bi­nai­son des articles 8 et 14 de la CEDH, por­tant res­pec­ti­ve­ment sur le droit à une vie pri­vée et fami­liale et la non dis­cri­mi­na­tion, consi­dé­rant que refu­ser l’exa­men de sa requête pour absence de titre de séjour consti­tue une dis­cri­mi­na­tion et une atteinte à sa vie pri­vée et familiale.

En second lieu il sou­tient que le contrôle de la régu­la­ri­té du séjour d’un requé­rant ne doit être effec­tué qu’au niveau de l’or­ga­nisme débi­teur des pres­ta­tions affé­rentes au han­di­cap et qu’il n’ap­par­tient pas à la MDPH ou à la CDAPH de se faire juge de la rece­va­bi­li­té au regard de la régu­la­ri­té du séjour. Il rap­pelle à ce titre qu’il ne demande pas au stade de sa requête une pres­ta­tion finan­cière mais la recon­nais­sance et l’é­va­lua­tion de son han­di­cap (taux et res­tric­tion).

La MDPH expose pour sa part qu’en l’ab­sence de pièce d’i­den­ti­té ou titre de séjour en cours de vali­di­té ou de tout autre docu­ment d’au­to­ri­sa­tion de séjour en France les demandes d’Al­lo­ca­tion adulte han­di­ca­pé (AAH) et de carte mobi­li­té inclu­sion (CMI) sont incom­plètes et par consé­quent irre­ce­vables en ver­tu de l’ar­ticle R.146–26 du code de l’action sociale et des familles.

En ver­tu de l’article R.145–25 du même code, dans sa ver­sion appli­cable à la date du dépôt de la requête de Mon­sieur X à la MDPH du Doubs, soit le 15 octobre 2020, “Pour béné­fi­cier des droits ou pres­ta­tions men­tion­nés à l’ar­ticle L.241–6, la per­sonne han­di­ca­pée ou, le cas échéant, son repré­sen­tant légal, dépose une demande auprès de la mai­son dépar­te­men­tale des per­sonnes han­di­ca­pées com­pé­tente en appli­ca­tion des dis­po­si­tions de l’ar­ticle L. 146–3″.

L’article R.146–26 pré­cise à sa suite que :

La demande est accom­pa­gnée d’un cer­ti­fi­cat médi­cal de moins de six mois et, le cas échéant, des élé­ments d’un pro­jet de vie. Dans le cas d’un han­di­cap sus­cep­tible d’une évo­lu­tion rapide, l’é­quipe plu­ri­dis­ci­pli­naire men­tion­née à l’ar­ticle L. 146–8 du même code peut deman­der un cer­ti­fi­cat médi­cal d’une durée de vali­di­té infé­rieure. Les modèles de for­mu­laires de demande ain­si que la liste des pièces jus­ti­fi­ca­tives à four­nir sont fixés par arrê­té du ministre char­gé des per­sonnes han­di­ca­pées. Lorsque la demande est accom­pa­gnée de l’en­semble des docu­ments pré­vus aux deux ali­néas pré­cé­dents, elle est rece­vable…”.

La Mai­son dépar­te­men­tale des per­sonnes han­di­ca­pées (MDPH) est sai­sie par les per­sonnes han­di­ca­pées ou leurs repré­sen­tants légaux, au moyen d’un dos­sier consti­tué de docu­ments obli­ga­toires et de docu­ments facul­ta­tifs. Confor­mé­ment aux textes sus­vi­sés les pièces obli­ga­toires sont, outre le for­mu­laire de demande CERFA, un cer­ti­fi­cat médi­cal récent, un jus­ti­fi­ca­tif d’identité et un jus­ti­fi­ca­tif de domi­cile récent et le cas échéant une attes­ta­tion de pro­tec­tion juridique.

La Com­mis­sion des droits et de l’autonomie des per­sonnes han­di­ca­pées (CDAPH) est ensuite char­gée de prendre les déci­sions ou de rendre les avis suite à l’évaluation réa­li­sée par l’équipe plu­ri­dis­ci­pli­naire, les­quels déci­sions ou avis sont trans­mis dans un second temps aux orga­nismes com­pé­tents pour l’attribution de cer­tains droits.

C’est avec per­ti­nence que l’appelant fait grief au juge­ment défé­ré d’avoir décla­ré irre­ce­vable sa requête dépo­sée auprès de la MDPH du Doubs, au motif qu’au stade de l’examen et de l’évaluation de sa situa­tion per­son­nelle, pro­fes­sion­nelle et médi­cale, ni la MDPH ni la CDAPH ne sont tenues de véri­fier la régu­la­ri­té du séjour de la per­sonne qui les sai­sit, cette condi­tion n’étant exa­mi­née qu’au stade de l’examen du dos­sier par les orga­nismes pres­ta­taires, tels que la Caisse d’allocation fami­liales.

(…) C’est donc à tort que les pre­miers juges, sui­vant en cela l’argumentaire de la MDPH, ont décla­ré l’intéressé irre­ce­vable en sa requête. (Chambre sociale de la Cour d’ap­pel de Besan­çon du 9 mai 2023 ; déci­sion obte­nue par le cabinet).