Regroupement familial — Refus (Menace à l’ordre public) — Annulation (Violation du droit à la vie privée et familiale)
CategoriesArticle 8 de la CEDH
“5. Pour justifier son refus de faire droit à la demande de regroupement familial présentée par Mme C… en faveur de son époux, le préfet du Doubs a retenu que la présence en France du conjoint de la requérante constituait une menace pour l’ordre public et que la décision en litige ne portait pas une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de la demanderesse.
6. Le préfet fait valoir, au soutien du premier motif, que M. a été condamné le 26 août 2008 par le tribunal correctionnel de Nice à une peine d’emprisonnement de dix-huit mois pour vol à l’aide d’une escalade et qu’il a de nouveau été incarcéré en Suisse, pour des faits analogues, du 5 mars 2013 au 15 mars 2015. Il verse, en outre, aux débats deux procès-verbaux établis les 25 et 26 janvier 2016 par un agent de la police aux frontières du Doubs, dont il ressort que l’époux de Mme est inscrit dans le fichier ” Schengen ” des personnes recherchées, qu’il est interdit d’entrée en Italie et en Suisse et qu’il est également répertorié dans le traitement des antécédents judiciaires pour des faits d’infraction à la police des étrangers commis en 2007 à Bourg-en-Bresse (Ain) et pour des faits de cambriolages dans des résidences secondaires commis entre 2007 et 2011 à Cavalaire-sur-Mer (Var). Toutefois, en l’absence de toute précision quant aux motifs de l’inscription de M. dans le fichier des personnes recherchées et de ses interdictions d’entrée sur les territoires suisses et italiens, il n’est pas contesté que les faits qui lui sont reprochés présentent une ancienneté de plus de sept ans au moins à la date de la décision en litige. De même, il ne ressort d’aucune des pièces du dossier que l’intéressé aurait commis de nouvelles infractions ou fait l’objet de nouvelles condamnations depuis sa sortie de prison le 15 mars 2015. Par suite, eu égard aux éléments produits et nonobstant la nature et la gravité de ses antécédents judiciaires, le préfet du Doubs n’apporte pas la preuve, qui lui incombe, que la présence en France du conjoint de Mme C… constituerait une menace réelle et actuelle pour l’ordre public de nature à l’exclure du droit au regroupement familial.
7. Il ressort, par ailleurs, des pièces du dossier que M. et Mme se sont mariés à Sarajevo le 4 novembre 2000 et qu’ils sont entrés régulièrement sur le territoire français le 24 mai 2005, accompagnés de leurs deux enfants alors mineurs. Le couple, qui occupe un logement sur le territoire de la commune de Levier (Doubs), a vu sa situation administrative être régularisée au mois de juillet 2010. Mme et son fils aîné, devenu majeur, sont titulaires chacun d’une carte de résident valable respectivement jusqu’au 19 juillet 2025 et 30 septembre 2028. La requérante, dont les qualités professionnelles et humaines sont attestées par son employeur, travaille comme agent de service dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, depuis le 24 janvier 2011, en vertu d’abord d’un contrat à durée déterminée, puis, à compter du 1er mai 2013, d’un contrat à durée indéterminé, Ses deux fils, qui ont effectué toute leur scolarité en France, sont inscrits, au titre de l’année 2019–2020, en première année d’une école de commerce pour l’aîné et en classe de terminale ” économique et sociale ” pour le cadet. Nonobstant les circonstances que M. a été incarcéré en Suisse pendant deux ans et qu’il a effectué, après sa sortie de prison, des allers-retours entre la France et la Bosnie-Herzégovine, en raison notamment de la maladie de sa mère décédée en novembre 2019, il ne ressort pas des pièces du dossier que la communauté de vie de l’intéressé avec son épouse, de même que ses liens avec ses enfants, auraient cessé. Par suite, et alors que l’attestation du précédent maire de Levier du 9 juillet 2020 met en exergue la parfaite intégration de la famille C… au sein de la commune, le refus du préfet de Doubs de faire droit à la demande de regroupement de la requérante a porté une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale et a méconnu, en conséquence, les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.” (CAA de NANCY n°21NC02275 du 28 avril 2022).